Cendre

Consignes d'écriture

vendredi 16 octobre 2015 à 20h14

Voici comme promis la relecture depuis Les états d’âme de Christophe André sur comment faire pour que tenir un journal intime (ou extime, il y a-t-il une différence ici ?) soit le plus apaisant pour nos états d’âmes :

1/ Être dans l’approfondissement de ses état d’âmes, et non dans un objectif de relativiser et dépassionner. C’est plus dur sur le moment, mais plus profitable par la suite.

2/ Plus les écrits contiennent de « joncteurs », de causalité ou de temporalité (comme : c’est pourquoi, ainsi, donc, et alors...) et des mots liés à l’introspection (comme : j’ai compris que, j’ai réalisé que...), plus cela annonce des progrès à venir.

3/ Favoriser l’écriture « expérientielle » (décrire moment après moment comment on s’est senti pendant et après la situation), et non l’écriture « évaluative » (décrire pourquoi on se sent comme ça). Le pourquoi, ce sera pour plus tard, lorsque l’activation émotionnelle sera retombée....

Extraits choisis :

(Je confesse : ça me fait un exercice de copie au clavier, chose que je n’ai pas fait depuis longtemps, j’y prend un malin plaisir à reposer ainsi mon cerveau, et à ne pas être du tout dans l’introspection ce soir.
Contradictions, quand tu nous tiens ! ! )

« 
[...] de nombreuses études ont montré que [l’introspection] était bénéfique à notre santé, qu'[elle] aidait à la pacification émotionnelle dans les moments de vie difficiles...
[...] A l’issue de l’expérience, le groupe « approfondissement des états d’âmes » enregistrait, - par rapport au groupe « dépassionné » - des bénéfices sur son bien-être subjectif à moyen terme (dans les quinze jours qui suivaient) et aussi sur sa santé objective à long terme (moins de visites en moyenne chez les médecins dans l’année qui suivit l’expérience). Par contre, les effets psychologiques immédiats n’avaient pas été confortables : beaucoup de des participants du groupe « approfondissement des états d’âmes » disaient avoir été perturbés par cette expérience de l'« écriture de soi », tout en la jugeant très intéressante et enrichissante pour eux.
[...] Pennebaker conduisit ensuite de nombreux autres travaux qui confirmèrent globalement le pouvoir de l’écriture comme acte clarificateur et pacificateur de nos états d’âmes douloureux, mais aussi de nos variables biologiques. [...] amélioration sensible de l’état des personnes qui en souffrent.

[...] Pour digérer une expérience douloureuse, il faut d’abord la reconnaître et l’accepter, pour pouvoir ensuite la raconter ou l’écrire… C’est pourquoi le déni et la « rétention émotionnelle » ont un coût si élevé en termes de dégâts sur la santé, physique ou morale. Ensuite, la mise en mots et en récit permet d’augmenter la cohérence d’événements et d’états d’âmes qui sans cela auraient un goût d’inachevé. Et l’inachevé est psychotoxique, peu d’entre nous sont capable de se sentir bien avec des dossiers émotionnels refermés « non rangés » (cf. l’effet Zeigarnik dont nous avons parlé précédemment). D’ailleurs, les études qui comparent le fait de parler, d’écrire ou de simplement réfléchir à des expériences de vie douloureuses montrent clairement que l’écriture et la discussion font toutes deux bien mieux que la réflexion solitaire. Pourquoi la « simple » réflexion est-elle souvent si peu utile ? Parce qu’elle dérape très vite en rumination ! Alors qu’il est bien plus difficile de ruminer par écrit : l’absurdité et la toxicité du mécanisme nous sauteraient aux yeux, alors que nous le tolérons dans notre esprit...
En effet, un des mécanismes soignants de l’écriture passe par la réorganisation de l’expérience douloureuse, qui sans cela repose sur des états d’âmes souvent chaotiques et embrouillés. Nous contraindre à transcrire ces états d’âme en récit cohérent a un effet bénéfique. [il parle ici de la discussion avec un tiers, qui a aussi son intérêt mais où] nous y avons aussi moins d’espace pour la continuité de notre parole et de notre pensée. Ce qui nous dispense parfois d’aller chercher au fond de nous-même certains états d’âmes biens cachés. D’où l’immense intérêt de l’écrit solitaire, qui nous force à aller au bout de notre pensée. D’ailleurs, à ce propos, la disparition progressive des lettres au profit des appels téléphoniques [...] ou autres SMS est en train de provoquer des modifications psychologiques considérables : l’interactions immédiate et rapide remplace l’attention approfondie. C’est peut être bénéfique pour l’animal social en nous. Mais cela l’est sans doute moins pour l’animal mental que nous sommes aussi, et pour l’intelligence de nos états d’âmes.

Revenons-en au journal. Donner de la cohérence à nos états d’âmes grâce à l’écriture a donc clairement un effet thérapeutique. Ce retour de la cohérence dans des expériences de vie subies est bénéfique, par exemple dans la dépression, où des études ont montré que plus les écrit commencent à utiliser des « joncteurs », de causalité ou de temporalité (comme : c’est pourquoi, ainsi, donc, et alors...) et des mots liés à l’introspection (comme : j’ai compris que, j’ai réalisé que...), plus cela annonce des progrès à venir. Ces expressions sont en quelque sorte des indicateurs du sentiment de cohérence et d’autocompréhension retrouvé. De tels résultats avaient aussi été montrés dans l’analyse du discours spontané des patients déprimés en psychothérapie au fur et à mesure de l’avancement de leur guérison.

[...] on découvrit que, par rapport à la période « avant journal intime » le fait d’avoir travaillé à porter ses état d’âme sur le papier provoquait une fréquence accrue de mots positifs et de verbes au futur. Avoir accepté nos douleurs fait de la place pour nos bonheurs, et s’être penché (transitoirement) sur soi permet de se tourner vers l’avenir.

Ce qui semble également bénéfique, c’est l’évolution des états d’âme au fur et à mesure de l’écriture, et non une vérité toute plaquée qui apparaîtrait dès le début. [...] C’est le processus de construction et de compréhension qui importe. [...]

Autre consigne important : écrire ses états d’âme sans forcément et frénétiquement chercher à les résoudre tout de suite. ( « pourquoi je les ai ? comment vont-t-ils disparaître ?  » ). L’inverse de la rumination, ce n’est pas la précipitation de l’activisme, mais la réflexion lucide et tranquille. D’abord écrire, mettre à plat, comprendre ce qui s’est passé, quel impact cela a eu sur nous, être précis et honnête, sans maquiller ou masquer la vérité de nos ressentis.

Dans cette logique, attention aussi au style que vous utiliserez, comme l’a montré une autre étude : des volontaires sont invités à rédiger un texte après avoir été mis en échec. Deux consignes d’écriture : soit « expérientielle » (décrire moment après moment comment vous vous êtes senti pendant et après la situation), soit « évaluative » (décrire pourquoi vous vous sentiez comme ça). La seconde consigne aggravait tout le monde, avec davantage de pensées intrusives dans les heures qui suivaient.
Donc, dans votre journal intime, décrivez bien ce qui s’est passé, avant de (et parfois au lieu de ) vouloir mettre à plat les causes ; le pourquoi, ce sera pour plus tard, lorsque l’activation émotionnelle sera retombée....

Chez [les « gros ruminateurs » ], l’écriture les force à regarder le problème vraiment en face, au lieu de faire tourner un ersatz de réflexion au bout duquel on ne va pas. L’effort d’écriture débloque sans doute le « cogitatus interruptus » typique de la rumination. Une recherche sur l’écriture des états d’âme chez les ruminateurs montraient d’ailleurs un autre bénéfice sur les comportements sociaux (en plus du mieux-être interne) : les sujets recherchaient plus facilement les vrais échanges, et non simplement des oreilles pour ce plaindre.

Enfin, comme pour beaucoup de démarches de soin de soi, on sait l’importance des attentes, la nécessité de ne pas se livrer à l’exercice du journal intime sans conviction. En matière d’états d’âme, faire semblant ne marche pas, seule la sincérité a du sens et de l’efficacité sur notre bien-être. Laisser tous les mots et tous les états d’âme venir sous la plume. En se souvenant que « les mots sont plus anciens et plus puissants que les hommes qui parlent ».
»
Fin de citation.


J’ai copié tout le passage sur les « gros ruminateurs » parce que j’estime en faire partie. De celles qui vont s’inquiéter tous les jours d’une boule dans le sein mais qui en moyenne iront consulter deux mois plus tard que les autres (c’est un exemple qui a été donné plus tôt dans le livre). De ceux qui procrastinent, restent prostrés, avec des réflexions qui tournent en bouclent et ne mènent nulle part, sauf à une aggravation de tous les ressentis négatifs.
C’est la raison principale pour laquelle je me recopie ces passages (en plus du plaisir d’être lu par d’autres diaristes qui trouveront certainement là une certaine satisfaction). Parce que, si je n’aime pas ressentir de la colère, je me déteste encore plus quand, une semaine ou un mois après, je constate que la colère est la même, et que je tiens le même discours de plainte, avec les mêmes arguments sur ce que l’autre a fait ou n’a pas fait. Et je suis intimement persuadée que je ne peux pas ranger ce dossier émotionnel tant que je reste focalisée sur les actes (ou l’absence d’actes) de cet autre qui m’ont mit en colère.
La colère est une émotion que j’apprends à utiliser, qui est utile sur le moment, pour signifier à l’autre ses limites, pour préserver notre intégrité morale. Mais je n’y vois aucun intérêt quand elle perdure : elle ne peux que ruiner tous nos efforts relationnels.

(A suivre...)

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