Cendre

Inconstance

dimanche 15 juin 2014 à 11h08

Il paraît que Montaigne a évoqué cette idée, qu’il peut parfaitement faire preuve, le lundi, d’une qualité qui aura disparu le mardi
Charles Pépin, Platon La gaffe, survivre au travail avec les philosophes

[...]

J’étais ronchon, hier matin. Il y avait un contraste désagréable. J’ai manqué de renoncer à appeler mon chat noir (heureusement qu’il sait sauter sur les occasions ! ), mais la mélancolie était persistante.
Contraste entre la si simple soirée du vendredi (un spectacle, une marche dans Paris dans mes souvenirs de Lycée, un resto et un retour en RER des plus décent et des plus chaste...), contraste donc entre un bonheur simple et la dramaturgie certaine que j’entretiens dans mon foyer, où chacune de mes paroles, ou non parole, est pesée.

Alors qu’il y a pas mal à dire.
○Mes envie de libertés, d’appart, de concrétiser les crush avant que comme d’autres, ils s’évaporent, mes envies d’écrire, de voir, de rencontrer… Mais ça, ça coince d’abord avec moi-même, avec mon emploi du temps, mes priorités et mes fatigues. Donc je lui épargne. Ok.
○Mes envies d’emploi du temps, de découcher encore vendredi prochain. C’est déjà comme une musique rassurante dans ma tête et je ne lui ai évoqué qu’une unique fois, en coup de vent, autour d’autres dates… C’est pas bien raisonnable, il va falloir y revenir et vite. Ce soir (inspiration)
○Mes doutes et mes tiraillements. Entre l’impression qu’il donne d’aller mieux, et le fatalisme qui m’assaille de plus en plus, mes envies de thérapie de couple pour qu’elle nous montre qu’on ferait mieux d’accepter de vivre séparément. La peur d’un jugement (tous ces mois de souffrances pour en arriver là !), d’une perte de confiance irréparable (tu avais pourtant dit ... )
○Mon inconstance. Et cette traduction en terme de désir.
Une semaine que je prépare mon laïus, et impossible de le caser, il y a toujours plus pressé dans le calendrier à faire passer.
Mais voilà.

Il y a deux ans, je faisais tout pour être enceinte de toi. C’était mon objectif premier. Et comme je n’imaginais pas que cela pouvait ne pas arriver, pire, je n’imaginais pas que cette envie pourrait me passer avant qu’elle ne se réalise, je construisais tout mon avenir autour de cette phrase "quand je serais enceinte de toi".
C’était des choses très anodines :
- pas la peine d’installer un aquarium au bureau maintenant, je ne pourrais pas m’en occuper quand je serais en congé maternité
- ce cours de danse est très doux, je pourrais le poursuivre durant ma grossesse
- j’ai plein de jours de congés, ce sera chouette pour prolonger mon congé maternité
- il faudrait qu’on trouve une maison avant la naissance
- voilà qui va remplir ma vie et dépenser mon budget, en attendant, j’épargne, j’attends, je fais pas de projet
- j’ai envie de faire de l’haptonomie, je suis sûre que tu y seras très bon
- mon cycle est devenu super régulier à 28 jours, c’est cool, c’est plus fiable pour prévoir une conception
- on fera un projet de naissance dans une maternité choisie : je refuse de subir un accouchement hyper-médicalisé
- on prendra tous les deux un quatre-cinquième, mieux vaut avoir du temps pour ses enfants que plus d’argent.

Et puis, doucement, l’air de rien, l’envie est partie.
Cette envie qui me tiraillait le ventre depuis mon premier amour à 19 ans, cette envie qui était une brique majeur de mon mariage, cette envie est partie.
Aujourd’hui, je vois trois avenirs possibles :
Avoir un enfant de toi, avoir un enfant d’un autre, ne pas avoir d’enfants. Et des trois, je n’ai plus de préférence, je n’ai plus de volonté. Non, je ne vais pas mettre tout en œuvre pour l’un ou pour l’autre de ces avenirs : l’un des trois va arriver, et je l’accueillerais avec bonne humeur, et je ferais tout pour bien vivre celui qui se présentera, mais j’ai cessé de tout faire pour favoriser le premier.
Formulé en terme négatif, cela peut devenir "je n’ai pas envie de lancer une procédure d’adoption avec toi". Mais je garderais ça pour moi : il est jamais bon de diffuser les termes négatifs.

Tu me reproches de ne plus avoir envie de toi.
La blessure est bien plus profonde. Le vide bien plus grand.
Ça ne dépend pas du plaisir sexuel que je peux trouver ailleurs (j’ai envie de me vanter auprès de toi du caractère très chaste de notre soirée de vendredi soir, de l’absence même de frustration, mais je ne suis pas sûre que tu apprécierais, et puis, c’est quand même ma vie privée...)
Je sens pointer, sournoisement, une autre disparition d’envie : celle de vivre avec toi, de vieillir avec toi. Elle n’est pas mûre, elle n’est pas encore tangible, mais, brume diffuse, elle répand son poison entre nous.

Inconstance.

Comment pourra-t-on encore me faire confiance dans ce contexte ?
Comment pourrais-je me faire confiance.

Dans un monde où je peux faire preuve, le lundi, d’une qualité qui aura disparu le mardi…

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