Cendre

Le souci

mardi 20 octobre 2015 à 23h15

Je continue ma lecture des états d’âmes de Christophe André.
Voici ce que j’ai envie de souligner dans ce qu’il dit à propos de l’inquiétude :

« 
Pour comprendre l’angoisse et l’anxiété, il faut comprendre le souci. Le souci est cet « état de l’esprit qui est absorbé par un objet et que cette préoccupation inquiète ou trouble jusqu’à la souffrance morale ».
Les objets du souci, c’est exactement tout ce qui fait la vie quotidienne : la santé ou l’argent, que l’on aimerait avoir ou que l’on a, mais avec la peur de les perdre ; l’amour, l’affection, l’estime que l’on nous porte ou que l’on ne nous porte pas, ou plus ; les choses à faire, les échéances, les absences, les retards, les imprévus… Nous verrons un peu plus loin que la tendance au souci, surtout dans ses formes maladives, repose en fait sur une gigantesque intolérance à l’incertitude. La question « Que va-t-il se passer ?  » déclenche instantanément des flots de rumination inquiètes.

[...]

Ce qui fait le poids du soucis n’est pas sa nature objective mais les états d’âme qu’il engendre. Car, même si l’inquiétude peut être améliorée par l’absence d’événements, de nécessités, de responsabilités, d’échéances, même si elle diminue en général dans les périodes de vie calmes, elle réside aussi et avant tout en nous-même : dans notre disposition à décoder et à comprendre le monde qui nous entoure comme une vaste machinerie à produire des obligations ( « il faut absolument faire ça avant ce soir » ) et des menaces ( « si je ne le fais pas, alors » ). Et dans le sentiment exagéré de nos responsabilités en ce bas monde.

[...]

C’est sans doute ce passage vers plus de responsabilités qui explique que l’on soit en général plus inquiet adulte qu’enfant. C’est aussi ce qui fait que les personnes habituellement anxieuses sont en général utiles aux autres : comme elles pensent aux problèmes de tout le monde, l’entourage peut se reposer et débrancher son propre logiciel à inquiétude. Puisqu’il y a quelqu’un qui prend la responsabilité des efforts pour éviter les ennuis éventuels : trouver le chemin, surveiller l’heure, etc...
[...]
Voilà pourquoi, pour toutes ces raisons, il nous sera difficile de ne pas nous sentir parfois inquiets et intranquilles. Voilà pourquoi nous sommes des « êtres de peur ». Et voilà pourquoi nous avons sacrement intérêt à bien comprendre nos états d’âme d’inquiétude si nous ne voulons qu’ils ne prennent pas en nous toute la place.

[...]
L’inquiétude est comme l’adhésion à une fois. C’est un peu vrai de tous les état d’âmes, qui tendent à nous faire adhérer à une vision du monde. [...] Mais l’anxiété, elle, s’y entend parfaitement pour nous souffler à l’oreille : « Je suis ton amie, je ne suis que la prudence, de la lucidité, de la vigilance. Aie confiance ! Avance avec moi ! »
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1/ C’est vrai, le monde des dangereux, mais surtout à certains moments et à certains endroits ; il y en a d’autres où nous pouvons nous sentir en sécurité. 2/ c’est vrai que nous sommes fragiles, et prendre quelques précautions n’est pas inutile ; mais pas au point de prendre toutes les précautions possibles, et de vivre sous cloche, 3/ c’est vrai que faire attention augmente nous chances de survie ; inutile cependant de transformer cela en obsession qui altérerait alors notre qualité de vie, en nous faisant survivre longuement, mais enfermés dans la cage de l’hyperprotection.

Ce qui fait aussi que notre inquiétude dure, c’est qu’on la couve, qu’on la nourrit en s’enfermant dans nous convictions. On devient intolérant à d’autres visions du monde. Quand on est englué dans des états d’âmes anxieux, on tend à ressentir de la stupéfaction ou de la colère face aux joyeux, insouciants et autres optimistes : on ne les voit plus que comme des personnes à qui il manque quelque chose, par exemple l’intelligence ou la lucidité, mais pas comme des personnes qui ont quelque chose en plus que nous, par exemple l’aptitude au bonheur. On se plaît à imaginer qu’ils n’ont pas rencontré l’inquiétude, par chance ( « Ils ont été bien servis par la vie » ), par déni ( « Ils pratiquent la politique de l’autruche » ) ou par bêtise ( « Ils n’ont jamais rien compris à la marche du monde » ). On ne savoure pas la vie et on ne comprend pas que d’autres le fassent.
[...]
L’intime conviction que nous avons que le souci est utile est une autre raison qui explique sa persistance et la récurrence de nos inquiétudes.

[...]

[...] la tendance à anticiper, à penser à l’instant d’après, même en vacances ; la tendance à ne pas rester en repos, ni de corps ni d’esprit. Une préoccupation constante pour l’avenir : « Que va-t-il se passer tout à l’heure ?  » On ne vit pas l’instant présent, mais l’instant d’après. Ce système de pensé est supportable tant que nos vies sont réglées, calmes, prévisibles, lentes, contrôlables.
[...]
L’anxiété pousse à donner priorité à la survie sur la qualité de la vie. D’ailleurs, la réussite financière et sociale est souvent motivée par le seul but de se mettre en sécurité : arriver à accumuler assez d’argent pour « voir venir » (formule typique d’anxieux), et arriver à un statut assez élevé pour une plus craindre l’avenir (c’est-à-dire, dans le langage des anxieux, le revers de fortune)

[...]

Revenir dans le vrai monde et se débarrasser d’un certain nombre d’illusions
Illusion 1 : Il est possible de tout contrôler, en se donnant un peu de mal
Réalité : Non, on ne peut pas tout contrôler
Illusion 2 : En s’y prenant bien, on devrait pouvoir éviter les problèmes.
Réalité : Non, les problèmes font partie de la vie
Illusion 3 : L’incertitude peut déboucher que sur du danger.
Réalité : Non, beaucoup de choses incertaines se résolvent d’elles-même.

[Il enchaîne après sur les conseils aux anxieux, détaillés par chapitre : ][...]

Lutter contre son besoin de tout contrôler ;
Accepter que le monde nous échappe ;
Comprendre son allergie à l’incertitude ;
Apprendre à accepter ses problèmes ;
Admettre vraiment que l’adversité existe ;
Prendre le temps de regarder ses peurs en face ;

[...]

Accepter de vivre intranquilles selon l’expression de Fernando Pessoa ? Oui, que faire d’autre que d’accepter une dose d’incertitude et d’adversité dans nos existences ? Et inlassablement ramener notre esprit vers le présent, comme nous le rappelle cette maxime de La Rochefoucaud : « il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu’à prévoir celles qui peuvent arriver. » Vivre et agir au présent, donc. Être dans la vie et ses remous adverses, « comme un poisson dan l’eau. Dans la crainte perpétuelle du court-bouillon ». Non, je rigole…

»
Fin de citation.

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