Cendre

Critique de la division du travail

dimanche 18 mai 2014 à 18h27

Ça va changer mes lecteurs, je vais changer de sujet. Fortement.
Mais c’est un truc qui me taraude depuis très longtemps, que je voulais faire (mais ne prenais pas le temps), et je j’espère mettre en forme sérieusement pour l’offrir, entre autre aux camarades de la tendance claire.
Là, c’est pas encore structuré, c’est juste des notes pour donner consistance à mes sensations.

C’est une histoire de société où il est communément admis que l’on travaille pour l’argent et pas pour soi.
Où le travail est donc aliénant : imposé de l’extérieur, contraintes suivies aveuglément sans qu’on les comprenne.
Où l’épanouissement ne se fait qu’à la sortie, que le dimanche, pour peu qu’il nous reste encore un peu d’énergie.

Mermet, en citant Gorz, m’avait déjà mis sur ces pistes de réflexion, et j’ai enfin acheté, puis commencé, cet ouvrage Critique de la division du travail : je suis pas déçue.

La division du travail, c’est un système qui entretient la spécialisation des travailleurs par compétence, qui empêche un-tel de remplacer tel-autre. C’est ce qui justifie les écarts de salaires par écart de productivité (quand tu es ultra-spécialiste, tu es ultra-productif pour la société, elle te rémunère donc plus que les autres).
C’est un système qui pousse à la concurrence des travailleurs, concurrence intellectuelles pour les nantis, concurrence au moins offrant pour les travaux les moins qualifiés.
C’est une conséquence d’un des postulats du capitalisme, qui est de faire toujours plus de profit.
C’est un système abject que tout le monde trouve normal.

« Si tu veux pas finir éboueur, t’as qu’à faire des études »

Le travail le plus ingrat est également celui qui est le moins reconnu et le moins bien payé.

L’épanouissement individuel passe de mon point de vue nécessairement par un travail épanouissant, c’est à dire qui a du sens, pour nous et pour ce que l’on produit. Un travail où l’on comprend les contraintes et où on les respecte par choix, un travail où on on peut changer de façon de faire, ne pas sombrer dans la monotonie.
Et tout progrès scientifique, si mirifique soit-il, n’a aucun intérêt s’il prive d’épanouissement personnel la classe productive.

Et ce que m’a fait réaliser Gorz dans sa préface, c’est que c’est pas en se débarrassant du système capitaliste (Tel qu’il peut être dessiné là), qu’on se débarrassera de la division du travail qu’il nous a laissé, qu’on se débarrassera de cette façon de mesurer le mérite d’un homme à sa productivité, à sa rentabilité (valeur produite/salaire). Il faut attaquer plus en profondeur, donner de l’autonomie, et si possible en collectivités auto-gérées.

Alors, concrètement, comment je vois les choses.
Je m’accroche à l’éducation telle que je l’ai reçue, où toute tâche effectuée avec concentration reçoit le nom de travail (qu’il s’agisse de faire la cuisine, du jardin, du bricolage, un instrument de musique, apprendre ses leçons, faire des exercices ou des résolution d’énigmes), où tout travail est valorisé, où toute curiosité est encouragée, où l’on donne les moyens d’apprendre, de chercher et de trouver par soi-même (hier avec les dictionnaires, aujourd’hui avec internet), où l’on donne les moyens d’avoir du recul, un esprit critique, des ordres de grandeurs, une culture générale, en tout domaine (manuel, historique, géographique, scientifique)
Et ce le plus longtemps possible.
C’est pour cela que je suis particulièrement attachée au système du collège unique, par exemple, qui ne spécialise pas notre éducation avant la seconde.
<small>Et s’il se trouve actuellement des enfants en échec scolaire avant cela, c’est que notre système scolaire mets trop l’accent sur les capacité intellectuelles, et pas assez sur les manuelles. Si j’ai toujours pratiqué aussi bien des ouvrages de dames que du bricolage, je ne l’ai jamais fait à l’école...</small>
Et il faut réfuter systématiquement le discours du « ça sert à rien »
Ça sert juste à ouvrir ton horizon, à faire de toi un individu capable de trouver son bonheur, le sien, pas celui que te vendra la pub. Rien que ça…

Bon, l’éducation, c’est facile, vu que c’est celle que j’ai eu. Jusqu’au études : choisir systématiquement les filières qui nous enthousiasment le plus, les profs qui nous fascinent, et par défaut, les cursus les plus généralistes (c’est comme ça que j’ai choisi mon école : l’Ensi-Caen, et jamais je ne l’ai regretté)

C’est après que ça se corse.
Parce que quand même.
Parmi tous nos travaux, il y en aura un pour lequel on sera payé à 35h par semaine, et tout les autres qu’on devra faire sur nos temps libre pour nous même en se payant le matos sur nos économies.
<small>(évocation rapide du revenu de base inconditionnel qui pourrait être une façon de rémunérer en partie ce travail que tout à chacun fait tous les jours pour son propre épanouissement
évocation rapide aussi de mon émerveillement hier devant une imprimante 3D, ou comment redonner à l’ingénieur en herbe que nous sommes tous les moyens de se réaliser)</small>
Et c’est là que les revendications blessent. Elles réclament toujours moins d’heure de travail, toujours plus de salaire. Ce qui se tient, en soi, puisque c’est diminuer dans la vie la part sacrifiée à cette machine outil déshumanisante qu’est notre société de consommation.
Mais elle devrait également revendiquer un travail moins bête, toujours plus de souplesse dans celui-ci.

C’est facile de dire ça dans ma position, embauchée dans une administration d’état sous un chef qui justement défend ce type de position, où l’on m’invite à toujours apprendre, à toujours repenser mes méthodes de travail.

Et qu’est-ce qu’on fait ? dans ma superbe administration qui permet ce type de management ?
Et bien, à ma très grande honte, je fais partie d’un groupe de travail qui cherche à cadrer tout ça.
Qui, sous prétexte d’obtenir des chiffres cherche à normaliser le travail des agents.
Savoir qui fait quoi dans quelles conditions.
Et puis, élaborer des processus, des méthodes à suivre.
Indiquer aux autres comment ils doivent travailler.

Je pensais ça bien. D’autant plus que cela ne vient pas de la hiérarchie, mais d’un groupe volontaire. Qui discute pendant des heures pour se mettre d’accord sur la méthode que tout le monde doit appliquer : la super méthode qui nous permettra de moins perdre de temps, d’être plus efficace, d’être plus homogènes. Un méthode qui sera imposée aux autres agents… Aliénation ?

Alors, faut pas que je jette le bébé avec l’eau du bain. Y’a des trucs bien dans la démarche :
L’homogénéisation, c’est permettre à un-tel de remplacer tel-autre, c’est donc une lutte contre la spécialisation naturelle qui se crée quand chacun bosse dans son coin.
Le but, c’est d’émettre des bonnes pratiques qui seront conseillées à nos collègues, pas imposée.
Mais quand même, le tout dans une administration dont on souhaite qu’elle soit plus efficiente : c’est à dire qu’elle produise plus avec le même nombre d’agent (plafonné que nous sommes à 114 ETP)

Alors.
Tâchons de fermer cet article à peu près correctement, à défaut de l’avoir construit :
La spécialisation n’est pas nécessairement issue d’une maximisation du profit, elle peut aussi provenir de la paresse (c’est plus facile de laisser untel qui fait si bien ce boulot là que de se coltiner de le faire à sa place, sachant qu’on fera moins bien en plus de temps, c’est fatiguant d’avance)
La curiosité est le plus précieux des défauts, pour lutter contre cette paresse, celui qui nous fait être au monde, nous rend vivant. Et cela s’enseigne, très facilement, c’est par là qu’il faut commencer, en créant des écoles et des bibliothèques.
Et ensuite ?
Peut être apprendre la solidarité, la transmission des savoir, le faire ensemble, la valeur émotionnelle d’une réalisation en commun (Chihiro)
Et enfin, ne pas se laisser aliéner par son travail. Apprendre à se contenter de moins pour pouvoir travailler moins. Apprendre à être heureux de ce qui ne s’achète pas.

L’Amour, par exemple.

Encore faut-il que l’amour soit libre

(vous aviez vraiment cru que je pourrais ne pas en parler ?)

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