Cendre

Nous sommes de la même espèce

mardi 4 octobre 2016 à 19h16

Je suis passée voir mon père à l’hôpital dimanche.
J’en suis rentrée fourbue, désorientée.
Heureusement, mon mécano passe deux nuits avec moi, comme ça, comme une évidence, me répète combien j’ai cette force en moi.
Nouvel appel de mon père ce midi.
Je le rappelle sans même avoir écouté son message.

Son message est double. J’en suis tellement fière. Par où commencer. comment décrire. sans tomber dans la violence.
Violence sémantique, pudiquement cachée par le nom du service où il a été admis depuis dimanche : service d’oncologie. Camouflage indispensable pour ces F qui sinon se font submerger par les sous-entendus. Quoique. Les larmes montent aux yeux de mon père quand même quand l’aide soignante lui dit "c’est le mot qui fait peur". (mais il est sujet, pas besoin d’empathie pour ressentir directement sa peur...)
Alors pourquoi je suis fière ?
Parce que mon père me fait confiance. Qu’il a trouvé que j’avais fait preuve d’un sang froid plus qu’appréciable, qui l’a soulagé, même. Et qu’il veut donc me confier. Se confier à moi, à ma capacité de décision en accord avec ce qu’il aurait décidé lui même ; si jamais.
Nous sommes de la même espèce.
Ma sœur est géniale pour gérer la logistiques, les a-cotés administratifs, penser au personnel soignant, avoir des attentions pour tous. Et par la même, améliorer son quotidien, il y a aucun doute là dessus.
Elle et moi, nous sommes complémentaires.
Pourquoi je suis si fière ?
Parce qu’il répète qu’il va beaucoup mieux depuis que je suis passée le voir.
Ainsi, j’aurais réussi. J’ai voulu lui transmettre, par le toucher, mon élan vital, ma volonté de faire chaque journée, chaque minute la meilleure possible. J’aurais réussi à lui transmettre ma force, celle que s’amusent à révéler mes amoureux.
Alors il parle de me confier. De me désigner comme sa personne de confiance. Pour entendre tout ce qu’il entend et, le cas échéant, porter sa parole et sa volonté. Il lui fallait mon accord, que j’ai donné d’emblée. Même si j’ai pensé immédiatement "et ma soeur, elle sait ? ". Non, elle est pas au courant. Oui, appelle la pour lui dire que j’ai déménagé et que je vais mieux. Il fait remarquer qu’il n’a quasiment pas parlé symptôme et traitement avec elle, qu’ils ont parlé de tout et de rien, mais qu’elle avait, bien mieux que moi, intégré la politesse bourgeoise d’avoir toujours des bonbons à offrir.
Alors il m’a demandé.
Il a pas voulu minimiser l’engagement : ça peut être lourd à porter. T’inquiète pas, Papa, j’ai mon propre réseau de soutien, je suis pas seule. Et puis je t’ai, toi. Ta volonté, ta détermination. Cette force que j’irradie, c’est la tienne quelque part. On va les rédiger, ces directives anticipées, on va les rédiger ensemble, et je ne ferais rien d’autre que les porter à ta place.
Promis.

Et puis sommes toutes, comme dit ton copain, t’as vaincu l’alcool, t’as vaincu le tabac, tu peux vaincre le cancer.
Ce soir, tu vas mieux. On peut prendre ces décisions là presque tranquillement. Le risque qu’on ait besoin de se servir de ça existe, il n’est pas prédominant.
Accepter le risque.
Faire avec.
Lâcher prise.
Et faire du mieux que l’on peut.
Chaque jour.

Je t’aime.

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