Cendre

Vous savez, le sexe est vraiment une chose ridicule

vendredi 7 novembre 2014 à 13h40

Vous savez, le sexe est vraiment une chose ridicule. Je veux dire l’acte sexuel, physique. [...] Vraiment, ce n’est pas sorcier : placer le tenon A dans la mortaise B. Frottez jusqu’à ce que ce soit terminé.
Regardez l’acte et vous verrez qu’il est stupide. Les fesses qui tressautent, les jambes qui s’agitent, les grognement étouffés, les va-et-vient – y a-t-il quelque chose de plus idiot que cet acte central pour les émotions humaines ?
Non, évidement. Alors pourquoi ces relations agitées avec Pulchérie étaient-elles si importantes pour moi ? (et peut être pour elle.)
Ma théorie est que la significations réelle du sexe, au bon sens du terme, est symbolique. Ce n’est pas seulement le fait d’avoir un bref frisson de « plaisir » pendant ces mouvements de va-et-vient. Après tout, le même plaisir est possible sans avoir à trouver un partenaire, et pourtant ce n’est pas la même chose, n’est-ce pas ?
Non, le sexe est plus qu’une contraction du bas des reins ; c’est la célébration d’une union spirituelle, d’une confiance mutuelle. Chacun de nous dit à l’autre, là, dans le lit : je m’offre à toi dans l’espoir que tu me donnerais du plaisir, et je vais m’efforcer de te donner aussi du plaisir. Appelons cela le contrat social. La frisson réside dans le contrat, et non dans le plaisir, qui n’est que son application.
Vous dites aussi : voici mon corps nu, avec toutes ses imperfections, que j’expose devant toi en toute confiance, sachant que tu ne te moqueras pas. Et vous dites : j’accepte ce contact intime avec toi, même en sachant que tu pourrais me transmettre une horrible maladie. J’accepte de prendre ce risque, parce que tu es toi. Et la femme dit aussi, du moins jusqu’au début du XXe siècle : je m’ouvre à toi en sachant qu’il pourrait arriver toutes sortes de conséquences biologiques dans neuf mois.
Toutes ces choses sont bien plus vitales que les brefs plaisirs. Et c’est pourquoi les instruments de masturbation mécanique n’ont jamais remplacé le sexe, et le ne remplaceront jamais.
C’est pourquoi ce qui s’est produit entre moi et Puchérie Ducas, par cette matinée byzantine de 1105, fut une relation beaucoup plus importante que celle que j’avais eu avec l’impératrice Théodora un demi-millénaire plus tôt, et plus important que tous les rapports que j’avais eus avec un bon nombre de filles un millénaire plus tard. J’ai versé à peu près le même nombre de centimètres cubes de liquide salé quand Théodora, dans Pulchérie et dans beaucoup d’autre filles ; mais avec Pulchérie, ce fut différent. Avec Pulchérie, notre orgasme ne fut que le sceau symbolique de quelque chose de plus grand. Pour moi, Pulchérie était l’incarnation de la grâce et de la beauté, et la rapidité avec laquelle elle m’avait accepté faisait de moi un empereur plus puissant qu’Alexis ; mon éjaculation et son orgasme n’eurent que peu d’importance. Comparés au fait que nous étions tombés amoureux l’un de l’autre en partageant notre confiance, notre foi et notre désir. Voici le centre de ma philosophie. Me voici comme un romantique nu. Voilà la conclusion profonde que j’ai tirée de toutes mes expériences ; le sexe dans l’amour est meilleur que le sexe sans amour. CQFD.

Robert Silverberg. Les temps parallèles. fin du chapitre 48

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